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Robes de nuit comme tenue, pagne noué autour des reins, sourire permanent aux lèvres et bavardage tout le long du trajet, tel est le profil de ces femmes qui dès l’aube abandonnent  leurs foyers pour sillonner les rues de Bukavu  à la recherche de petits boulots qui leur permettront de vivre au jour le jour…                                  

Il est dix heures à Nguba, au croisement des avenues Jean Kayabu et Evariste Baganda, à l’endroit communément appelé Ki Muti. Une vingtaine des femmes sont assises par terre, caquettent et attendent, soucieuses, des clients qui leur proposent différents services.

Ces trentenaires,  en l’espace d’une journée se transforment  en aide-maçons, en transporteuses des matériaux de construction, livreuses d’eau, des sacs de sable ou de ciment  mais également en femmes de ménage ponctuelles.

Dans un climat de confidence, Zowena Fifi engage une conversation avec ses collègues. Elle leur décrit les travaux qu’elle a cumulés la veille pour au final ne gagner que cinq dollars américains.

D’un ton ironique, elle décrit et pointe la majestueuse maison où elle a travaillé et l’allure de la maîtresse de maison. Cette résidence de plusieurs niveaux est couverte d’une toiture verte au fond de la vallée. Elle balbutie un « nechi wa», une expression Shi  pour marquer l’étonnement , qu’elle accompagne d’un « Bafabalirhe » ; une autre expression Shi qui veut dire: «Ils mourront après avoir mangé ».Toutes éclatent de rire.

La caqueteuse rappelle une phrase venant de sa patronne d’un jour qu’elle n’a pas su digérer: «Tu oses refuser cet argent ? Ne sais-tu pas que tu es privilégiée? Hier, une dame faisait du porte à porte pour demander du travail. Elle suppliait pour qu’on lui donne ne fût-ce que 2000 francs congolais pour n’importe quel panier d’habits sales. Je ne l’ai pas acceptée parce qu’elle puait. Toi je te donne 4 000 francs, tu boudes.» . Fifi retient ses larmes perceptibles dans les yeux. L’une de ses compagnes tente de la calmer : «Travailler dans de telles maisons est vraiment un privilège. Je suis souvent humiliée et je supporte tout, parce que sans cet argent, mes enfants vont dormir ventre vide. Ce travail demande beaucoup d’humilité, ma chère».

Soudain, la scène s’interrompt. Une dame, apparemment fortunée s’approche. Trois de ces demandeuses d’emplois se précipitent vers la potentielle patronne. Celle-ci engage deux d’entre elles. Quelques minutes plus tard, un camion rempli de sable se pointe. Le conducteur pointe l’index de sa main droite vers le bas et les repousse . « J’ai pas besoin de vous, j’ai mes gars. », sourit-il. 

Après le boulot égale avant le boulot

Ces femmes poursuivent leurs  discussions et se plaignent de leur familles respectives. L’une d’elles, la plus jeune, laisse échapper alors en swahili: « Ça fait deux ans que mon mari n’est pas ici, j’ai cinq enfants. Ce matin, je suis allée puiser de l’eau à six heures à la rivière Ruzizi. J’ai fait trois tours avec chaque fois deux bidons de 20 litres. J’ai encore provoqué ce dos. Je me suis occupée des travaux ménagers avant de réchauffer la nourriture pour les enfants. Et dire que ma fille a osé se plaindre du repas !  Elle ne voulait plus manger les amarantes et les fretins parce qu’elle a mangé la même chose la nuit dernière. Heureusement pour elle, j’étais très épuisée. Je n’avais plus de force pour aller chercher un fouet, sinon elle aurait regretté d’avoir ouvert sa bouche. Je lui ai juste rappelé qu’elle doit s’estimer chanceuse d’avoir à manger. Ce soir, je ne suis même pas sûre qu’ils mangeront. Entretemps, leur père se tape sans remords la belle vie à Misisi. J’ai même appris qu’il aurait déjà deux enfants avec deux femmes différentes là-bas.»

Et Sans crier gare, elle saute directement sur un autre sujet moins sensible. Elle parle de son amie d’enfance qu’elle a rencontrée il y a une semaine et qui est devenue une grande dame. Elle relate avec fierté comment de sa voiture, son ancienne camarade l’a reconnue. Et pour finir, elle ajoute : « Elle est même descendue de sa voiture pour m’embrasser. Le monsieur qui a un petit kiosque sur la rue était surpris que moi je connaisse cette dame. »

Des maris absentéistes  

La plupart de ces héroïnes du quotidien, se retrouvent seules pour élever leurs enfants. Leurs maris  s’en vont sous d’autres cieux au nom de la débrouillardise. Très souvent, ils se réfugient dans les carrés miniers. Une activité que nombreux d’entre eux qualifient de rentable. Ces pères qui n’ont du père que le nom, reviennent juste le temps de laisser une grossesse ensuite retourner dans leurs trous. Ils prétendent ne plus s’habituer à la vie de la ville. Les épouses les plus avisées savent qu’ils se hâtent pour entretenir des femmes laissées sur place. Parfois même, une famille!

Face à cette situation , certaines se considèrent comme des femmes vivant seules ou abandonnées. D’autres par contre, se prennent toujours comme des épouses légitimes.

Des vraies  touche-à-tout 

Cette catégorie des femmes est de plus en plus présente dans la ville de Bukavu. Au détriment de leur vie, ces femmes vaillantes au psychique d’acier n’ont que leur force de travail à proposer sans rechigner devant la dureté de la tâche. Elles s’oublient pour nourrir et éduquer leurs enfants. Malheureusement, les préjugés de toutes sortes tendent à décourager ces femmes intrépides. Certaines d’entre elles, pour qui la question de dignité importe plus que toute autre chose, abandonnent leurs occupations. D’autres persévèrent, mais sont perçues comme des femmes libres. Selon elles,ces idées préconçues proviennent souvent des personnes passives. C’est facile de juger ceux qui essaient de s’en sortir lorsqu’on passe ses journées à boire au frais des autres. Qu’en est-il de ces autres qui jettent l’opprobre à ces femmes sans connaître leur véritable histoire ? Est-ce la peine de rappeler à ces derniers que de sot métier il n’y en a pas, mais qu’il n’ y a que de sottes gens ?

  • Arlette BOROTO

 

 

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